L'EPAULE DOULOUREUSE
Après la hanche puis le genou, le démembrement diagnostic et thérapeutique de la pathologie de l'épaule est actuellement en cours.
Devant la rapidité, voire la variabilité d'évolution des idées, il est parfois difficile de s'y retrouver.
Aussi nous avons choisi le terme "d'épaule douloureuse", dans la mesure où, de la périarthrite scapulo-humérale (1872) au conflit sous acromial (1972), le seul dénominateur commun reconnu a été la douleur.
C'est donc au travers de cette douleur, plainte essentielle et souvent unique du patient, que nous avons essayé de réunir l'ensemble des éléments qui nous semblaient utiles à une compréhension anatomique et fonctionnelle de la symptomatologie, ainsi qu'à l'élaboration d'un diagnostic précis et d'une thérapeutique adaptée.
INTRODUCTION
Le morphotype humain tel que nous le connaissons actuellement
est le fruit d'une évolution adaptative complexe.L'épaule
n'y a pas manqué :à la stabilité s'est substituée
la mobilité , répondant ainsi à une fonctionnalité
orientée entre autres, vers la faculté de préhension.L'événement
charnière ayant été le passage à la
position debout.
Nous nous devons, dans ce chapitre d'honorer la mémoire
et les travaux de BROCA (1878) et LIVON (1979) qui ont initié
et posé les bases biométriques et anthropologiques
de l'étude de l'épaule.
Les structures antérieures humaines sont originellement dérivées des replis épidermiques latéraux, longitudinaux et ventraux du poisson. Repli unique axial dorsal initialement , se poursuivant en continuité dans la région caudale puis ventrale pour se diviser, à la jonction tiers postérieur/tiers antérieur, en deux replis latéraux (Fig.N°1;Fig.N°2).
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Fig.N°1
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FiG.N°21
Dans un deuxième temps , les bourgeons musculaires,
accompagnés de leurs innervations migrèrent dans
ces replis épidermiques .
L'individualisation des plexus nerveux périphériques
, leur croissance,, amène à une segmentation de
ces replis en nageoires proximales et distales , précurseurs
des membres supérieurs et inférieurs.
La croissance cartilagineuse s'individualisera entre les bourgeons
musculaires dans leur portion proximale ; le développement
cartilagineux aboutissant à une armature médiane
dorsale et à ses expansions latérales préfigurant
la ceinture scapulaire (Fig.N°3 ; Fig.N°4).
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Fig.N°3 -Ebauches cartilagineuses entre les bourgeons musculaires.
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Fig.N°42-Ebauche de ceinture scapulaire
Ceinture scapulaire et cage thoracique
Pendant les périodes amphibies , la tête à
très vraisemblablement été libérée
d'une partie de ses attaches à la cage thoracique , celle-ci
opérant pendant la période reptilienne une migration
relative caudale.
Le cleitrum , os primitif reliant la cage thoracique au crâne
, disparait à cette époque.
Le modéle mammifère initial à dû s'adapter en créant de nouveaux rapports articulaires entre une clavicule déjà bien développée , reliée au sternum médian, une omoplate relativement large et plane, et le membre antérieur.
evolutions selon les espèces
- Les quadrupèdes s'adaptant à la course, perdirent leur clavicule pour mieux mobiliser l'omoplate.
- Les mammifères s'adaptant à la nage supprimèrent également leur clavicule, y associant une omoplate élargie permettant des mouvements de grandes amplitudes.
- L'adaptation au vol s'est faite par un renforcement en largeur et en longueur et par une adaptation des courbures claviculaires au détriment d'une omoplate atrophiée et incurvée.
- Les mammifères de type bipède (y compris l'homme) développèrent une clavicule solide , une apophyse coracoïde large et une omoplate de taille importante (Fig.N°5).
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Fig.N°53
La station debout entraînait un aplatissement relatif du
thorax et une bascule postérieure de l'omoplate , l'axe
de celle-ci passant de 90° à 45° par rapport au
plan frontal , avec adaptation glénoïdienne et humérale
proximale.
Dans le même temps se poursuivit l'évolution du membre supérieur tel que nous le connaissons actuellement avec développement de la main à cinq doigts , un pouce fort et mobile conditionnant désormais la fonction scapulaire (Fig.N°6).
* Fig.N°64-
Nous individualiserons les différents éléments anatomiques.
L'omoplate humaine est "suspendue" par des structures
musculaires et reflète clairement le développement
adaptatif de l'épaule. Depuis les espèces inférieures
on relève une migration distale progressive , libérant
la tête et le cou . L'omoplate se positionne ainsi comme
une plate-forme des mouvements du membre supérieur.
L'évolution finale est marquée par la diminution
du rapport entre sa longueur (rapportée à l'axe
rachidien) et sa largeur (angle supéro-ext. ; angle supéro-int.)
, le rapport largeur/longueur donnant les indices scapulaires
et thoraciques de BROCA (Fig.N°7).L'évolution s'est
faite essentiellement au profit de la fosse sous épineuse
:
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Fig.N°75
L'expansion de la fosse sous-épineuse est due à l'augmentation de taille et donc au rôle proportionnellement croissant du sous-épineux et du petit rond en tant qu'abaisseurs et rotateurs externes de la tête humérale.La fosse sus-épineuse et le muscle sus-épineux voyaient leur rôle relatif diminué dans le temps.
L'acromion s'est également développé aux dépens de l'épine de l'omoplate , s'élargissant progressivement.Dans les espèces inférieures , l'acromion est insignifiant . Dans l'espèce humaine , c'est une structure massive, formant auvent au-dessus de la tête humérale (Fig.N°5)
Cette morphogénèse est liée au rôle croissant du deltoïde dans la fonction de l'épaule . L'évolution associe une extension des insertions deltoïdiennes sur l'acromion et un éloignement simultané de son insertion humérale distale (Fig.N°8),améliorant ainsi le levier du bras.
L'apophyse coracoide à vu de même une augmentation de sa taille, son rôle étant double :insertions ligamentaires et musculaires (petit pectoral) d'une part , élément de contention antérieure de la tête humérale lors de l'abduction à 90°, d'autre part.
La migration distale de l'insertion deltoïdienne , permet
une amélioration du bras de levier deltoïdien.
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Fig.N°86 - Migration distale du deltoïde.
La torsion de la diaphyse humérale est concomitante à l'aplatissement thoracique antéro-postérieur et à la migration dorsale de l'omoplate.
La torsion diaphysaire humérale aboutit à une rétro-version d'environ 30° de la tête humérale par rapport au plan frontal épicondyle-épitrochlée, avec simultanément une augmentation de taille du trochiter au détriment du trochin.
La clavicule n'existe pas chez les chevaux ou chez les animaux qui utilisent leurs pattes antérieures pour la station debout.
Par contre ,chez ceux qui utilisent les membres supérieurs pour porter , attraper , grimper , la clavicule permet à l'omoplate et à l'humérus de s'éloigner du corps en conservant un "axe articulé de soutien", autorisant ainsi une grande liberté de mouvement avec une stabilité correcte.
A la coiffe des rotateurs (sus-épineux , sous-épineux , sous-scapulaire et petit rond), le développement phylogénètique associe le deltoïde , le grand rond et le biceps .
Le sus-épineux , n'ayant , contrairement aux autres , pas augmenté de taille , se trouve proportionnellement affaibli.
Le deltoïde , à l'opposé , a plus que doublé de volume ,avec accroissement parallèle de la force, représentant désormais approximativement 40% de la masse musculaire scapulo-humérale globale.(Fig.N°9).
Chez les animaux de races inférieures , une partie des attaches deltoïdiennes se situent à l'angle inférieur de l'omoplate . Chez l'être humain , cette partie du deltoïde s'individualise et forme le muscle petit rond , tout en conservant une même innervation (Nerf circonflexe , C5-C6).
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Fig.N°97
Le sous-épineux est absent dans les races inférieures.
Chez l'être humain , il ne représente que 5% de la
masse musculaire globale scapulo-humérale.
Le sous-scapulaire n'a pas particulièrement évolué
au travers des âges, mis à part une légère
augmentation de sa masse et de sa longueur lors de l'allongement
scapulaire, aboutissant à 20% de la masse musculaire globale.
Cette évolution confirme la faible part du sous scapulaire
comme assistance du sus épineux et du petit rond dans leur
rôle stabilisateur de la tête humérale lors
de l'élévation du bras.
Le biceps ne possède qu'une insertion dans les races
primitives il est alors assistant pur du sus-épineux dans
l'élévation
Chez l'homme , le biceps a deux insertions , la longue portion
ayant en sus un rôle coaptateur. Les deux chefs sont, du
fait de la torsion humérale, des élévateurs
inefficaces du membre si celui-ci n'est pas en rotation externe
complète.
RESUME
L'épaule a suivi l'évolution de la main
A la stabilité d'appui s'est substituée la mobilité de préhension.
L'aplatissement antéro-postérieur du thorax , le dégagement de la tête et du cou , la migration postérieure de l'omoplate ont permis une adaptation de l'épaule dont les grands axes ont été :
1°-une clavicule à effet de "manivelle de rappel"
, autorisant la puissance et la stabilité de mouvements
devenus de grande amplitude.
2°-un deltoïde hypertrophié développant
l'acromion , celui-ci formant alors une voûte au-dessus
de la coiffe des rotateurs. Le sus-épineux, proportionnellement
déclinant,est bordé en arrière par le sous-épineux
et le petit rond à effet coaptateur accru.
'omoplate se façonnant pour offrir une surface d'insertion
proportionnelle au rôle de chacun de ses muscles.
Si l'on admet le temps comme axe des abscisses ,avec pour ordonnées
la taille respective anatomique (proportionnelle) des parties
molles couplées à leurs surfaces d'insertions ,
on aboutit au schéma suivant (Fig.N°10):
*Fig.N°10
Une remarque s'impose alors
Le point de croisement des deux droites correspond au début des conditions anatomiques d'un conflit potentiel , par création d'une voûte acromio-coracoïdienne surplombant un sus-épineux déclinant.
La troisième ligne , horizontale et sus-jacente aux deux autres , symbolise les autres muscles de la coiffe , s'adaptant à leur fonction de stabilisation de la tête (en sus de leurs fonctions rotatoires) sans être partie prenante dans le déséquilibre évolutif deltoide/acromion contre sus-épineux.
En poursuivant le concept , donc le schéma ,on aboutit à deux cas de figure :
Premier cas de figure:
On admet qu'à l'heure actuelle nous avons atteint
un état d'équilibre . Notre évolution morphogénétique
s'est adaptée à une utilisation standard de l'épaule.
Si le conflit mécanique reste potentiel , une activité
"normale" (courbe de Gauss) ne donnera pas de symptomatologie
(Fig.N°11).
*Fig.N°11
Deuxième cas de figure:
On émet l'hypothèse d'une continuation de l'accroissement
de nos activités (dans le plan antérieur) du membre
supérieur.
Cette hypothèse , bien que peu probable , nous conduit
a poursuivre les courbes de la figure 10 ,avec constatation (Fig.N°12),
à terme,d'une atrophie majeure voire d'une disparition
du sus-épineux , ne pouvant que faire évoquer l'apparition
d'une nouvelle forme d'articulation sous acromiale .Le couple
deltoïde/acromion s'équilibrant alors avec le restant
de la coiffe devenue stabilisatrice et rotatoire pure.
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Si cette hypothèse est purement intellectuelle à l'échelon d'une population , elle permet néanmoins de concevoir qu'au niveau individuel , une suractivité est génératrice de déséquilibre donc de symptomatologie.